A conversation with multidisciplinary artist Ngadi Smart - Bubblegum Club

Une conversation avec l’artiste multidisciplinaire Ngadi Smart

*This article has been translated thanks to the support of the French Institute of South Africa (IFAS)

*Cet article a été traduit grâce au soutien de l’Institut français d’Afrique du Sud (IFAS)

J’ai souvent pensé que les œuvres de Ngadi Smart évoquent et bouleversent la notion de pays natal. Moins en terme de l’expression matérielle et conceptuelle de ses œuvres, mais plutôt par son vase humain qui se trouve être Ngadi elle-même et par l’ouverture de sa pratique artistique entre la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et la Grande Bretagne. Cependant, l’origine de Ngadi Smart a toujours été la Sierra Leone, elle raconte venir « d’une famille de femmes Sierra-Léonaises fières et fortes d’esprit » et ajoute : « ma grand-mère était ma plus grande source d’inspiration et m’a toujours appris l’importance de l’histoire et de savoir qui nous sommes – ça m’a vraiment marqué ». La pratique artistique de Ngadi peut prendre plusieurs formes dont l’illustration, la photographie, le design et le multimédia – principalement sous la forme de collages. Les intérêts explorés dans son travail sont aussi fluides que ses mouvements et sont toujours accompagnés d’une esthétique basée sur la déconstruction et le questionnement comme par exemple une méditation sur l’érotisme féminin noir, l’étude de l’identité ou encore une interrogation sur la beauté. Elle et moi avons échangé nos pensées et des mots dans l’interview ci-dessous.

shot for The Nice Magazine

Je pense que l’État-nation est devenu une logique de compréhension et de réflexion qui influence même notre conception de la création artistique. Par exemple, on parle d’une artiste Sud-Africaine ou d’un écrivain Ivoirien, etc. Notre conception des complexités de l’État-nation – en tant que construction et contexte – s’est érodée en même temps que notre prise de conscience sur la perméabilité des frontières. Je crois que la fluidité des mouvements qui accompagnent ton travail artistique et ton parcours révèlent de manière inconsciente le ridicule de cette logique ; avec tes déplacements entre la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et la Grande Bretagne ; entre le nord et le sud. Pourtant, tu te décris comme artiste Sierra Léonaise en dépit de la perméabilité de tes mouvements. Pourquoi cette affinité avec la Sierra Leone dans ta manière de te nommer en tant qu’artiste?

Ngadi Smart: Je comprends et j’admets que les frontières sont artificielles et créées par les puissances occidentales lorsqu’elles ont divisé l’Afrique à leurs propres avantages. Je ne peux néanmoins pas ignorer mon héritage qui est ancré dans l’État-nation de la Sierra Leone, mais aussi dans mon identité de descendante d’esclave. Mon travail a pour but de célébrer cet héritage, afin d’honorer ceux qui m’ont précédé et ont été amenés par la force dans cette région du monde, bâtie de manière artificielle par des personnes venant de l’extérieur, mais ayant tout de même réussi à fonder leurs propres cultures et traditions. Je suis très fière de mes origines. La Sierra Leone est un pays magnifique avec une histoire formidable et beaucoup de potentiel, mais malheureusement c’est aussi [un pays] ayant eu beaucoup de malheurs. En raison de son passé tumultueux, on raconte peu de choses positives [sur] le pays. Si j’arrive à en parler le plus possible, alors peut être que cela pourra changer la perception que les gens ont de la Sierra Leone – ou même du continent africain. Je viens d’une famille de femmes Sierra-Léonaises fières et fortes d’esprit. Ma grand-mère était ma plus grande source d’inspiration et m’a toujours appris l’importance de l’histoire et [de] savoir qui nous sommes – ça m’a vraiment marqué.

Me, First series, 2019.

La série de photo que vous avez prise pour Atmos Vol. 2 Laditudes a contribuée au débat sur le changement climatique et la catastrophe écologique de manière visuelle très intéressante et nuancée, du moins je le pense. C’est dans la juxtaposition de l’imposante architecture coloniale en ruine avec les figures humaines faisant partie de la composition et qui donnent l’impression d’être à leur place logique dans l’environnement et le contexte naturel. Pour moi, cela représente une sorte de contestation visuelle à l’encontre de la logique raciste et du discours écologique dominant. Ce dernier a tendance à placer les populations marginalisées comme responsables de la catastrophe écologique à travers le langage du surpeuplement ce qui a pour effet de décharger le capitalisme suprématiste blanc de toute responsabilité. Alors que l’on sait que des populations indigènes ont vécu en harmonie avec leur environnement pendant des siècles. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont vous avez conceptualisé cette œuvre?

Ngadi Smart: Merci ! Je suis tout à fait d’accord avec vous à propos de la logique raciste et du discours écologique dominant et bien sûr les populations indigènes ont toujours eu une relation spirituelle, culturelle, sociale et économique avec les terres ancestrales. Atmos est un magazine dont le sujet principal est la question écologique dans le monde. J’ai développé mes idées à partir de la mission principale du magazine : Tenter de saisir l’essence d’une culture dans un éditorial, tout en conservant une approche écologique. Je souhaitais montrer – à travers le style et l’infrastructure – la juxtaposition du traditionnel et du moderne à Bassam ainsi que souligner les effets contrastés frappants de son passé postcolonial français, bien que le site fasse partie du patrimoine mondiale de l’UNESCO. J’ai donc choisi de ne travailler qu’avec des stylistes, mannequins, matières et tissus locaux, car cela voulait dire que nous n’avions pas à faire venir des vêtements par avion pour ce shoot :

Atmos Magazine Vol 2, 2019.

Le styliste Ivoirien Kader Diaby de chez Olooh Concept a conçu les vêtements. Le tissu utilisé est fait de fibres naturelles et provient d’une collection précédente ce qui veut dire que rien n’a dû être produit pour le shoot. Il ne travaille qu’avec un seul tailleur, les vêtements ne sont donc jamais faits en usine. Les objets décoratifs en raphia pour les mains et les pieds ont été fabriqués par un artisan local nommé Coulibaly Salia et sont inspirés de ma recherche sur les vêtements ivoiriens traditionnels. Plus précisément ce que les Guro et Yacouba portent à leurs pieds lors de leurs cérémonies et danses traditionnelles. J’ai trouvé que les objets allaient bien en terme de style et qu’ils étaient reconnaissables et emblématiques. J’ai demandé au fleuriste Jean-Baptiste Kiemtore, qui ne se trouve pas loin de chez moi, de créer une interprétation botanique des coiffures décorées, inspirées de mes recherches sur les coiffes africaines traditionnelles en raphia. Coulibaly Salia a aussi créé les éléments pour les chapeaux en osier, qui sont tous faits avec du rotin local et ont déjà été présentés dans le lookbook d’Olooh Concept. Le rotin est une matière rapidement renouvelable que l’on récolte dans les forêts africaines. Puisque le rotin pousse très rapidement, il n’a pas besoin de beaucoup d’eau et est presque toujours cultivé sans pesticide. C’est une matière écologique qui nécessite moins de ressources. En gros, j’ai essayé d’utiliser le plus possible de ressources proches de chez moi, afin de réduire mon empreinte carbone et d’éviter d’en utiliser des nouvelles.

Atmos Magazine Vol 2, 2019.

Ces dernières années votre expression créative s’est tournée vers l’animation. Qu’est-ce qui a mené à cette évolution et qu’est-ce que l’animation vous apporte ou qu’est-ce que vous trouvez dans l’animation que vous ne trouviez pas dans la photographie et vice versa?

Ngadi Smart: J’ai toujours voulu faire des images animées, que ce soit dans de la vidéo ou de l’animation, c’est donc ma tentative d’opter pour cette orientation. Je crois que l’animation est simplement une autre manière de raconter une histoire. C’est un autre moyen plus complexe de raconter son histoire – et peut-être que cela est plus facile qu’avec la photographie, qui peut donner l’impression d’être factuelle ; bien que parfois elle ne l’est pas.

Je pense que dans beaucoup d’endroits sur notre continent, notre histoire et notre relation aux concepts de genre et de sexualité sont compliqués, sans pour autant être monolithiques pour les nombreux pays du continent. Je pense donc que beaucoup d’entre nous tentent de fonder notre propre relation au genre et à la sexualité, cela devient une expérimentation et une tentative de possibilités – on doit écrire nos propres scripts puisque le monde a toujours été indifférent aux plaisirs érotiques, les possibilités et les pratiques des femmes noires. Votre série de collages Me, First suit ce questionnement. Pouvez-vous brièvement parler de ces trois collages?

Ngadi Smart: Me, First,  est une série que j’ai réalisée pour l’exposition Virtues and Vices de la Looking Glass Co à l’espace d’exposition Das Giftraum de la Gallery Weekend à Berlin. Looking Glass Co c’est un collectif qui célèbre des artistes d’Afrique et de la diaspora en Europe. J’y ai exposé trois collages. Le thème de l’exposition était l’exploration de nos relations avec divers objets, produits et comportements et comment on les utilise comme mécanisme de défense dans la vie de tous les jours. J’ai choisi d’explorer la relation qu’ont les femmes avec l’autothérapie (self care), particulièrement à travers la sexualité et notre propre plaisir – ce que je trouve n’est jamais assez représenté, surtout pas du point de vue des femmes noires. J’aimais bien l’idée qu’une femme noire comme moi se ré-approprie quelque chose de construit par rapport à moi-même, afin d’y ajouter un message plus fort. Certaines des images que j’ai utilisées pour ce projet proviennent de pubs pornos des années 1970, qui à mon avis étaient plus centrées sur le plaisir [féminin].

Qu’est-ce que vous aimeriez manifester pour la nouvelle année?

Ngadi Smart: Tout ce que je veux faire, c’est créer encore plus d’œuvres éloquentes.

The Queens of Babi, 2020.

Illustration for Observer New Review’s special issue, guest-edited renowned Artist and filmmaker Sir Steve McQueen

The Queens of Babi, 2020.

Me, First series, 2019.

The Queens of Babi, 2020.

Me, First series, 2019.

Atmos Magazine Vol 2, 2019.

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