*This article has been translated thanks to the support of the French Institute of South Africa (IFAS)
*Cet article a été traduit grâce au soutien de l’Institut français d’Afrique du Sud (IFAS)
Vivre des moments historiques a la capacité particulière de nous faire contempler notre propre impermanence. L’impermanence même des moments qui façonnent le plus notre caractère, du fait que ce ne sont que des moments, est la menace que le Temps fait peser sur nos corps qui se flétrissent. D’où la construction sociale de l’héritage. Nous voulons croire que nous, ou une extension de nous-mêmes, survivrons, soit de façon tangible, soit par l’échange de pensées et de souvenirs. Comme toutes nos autres constructions sociales, l’héritage implique la participation de ceux qui nous entourent pour le maintenir. La notion même de “nous” – en tant que collectif – est au cœur de la marque de mode masculine ivoirienne OLOOH, conçue et créée par Kader Diaby. Le mot “olooh” signifie “notre” dans les langues sénoufo. “En nommant ma marque de vêtements lors de sa création en 2018, j’ai voulu placer les questions de communautés, d’appartenance et d’origines au cœur de mon discours esthétique”, a confié Diaby. “Pour moi, l’art est un partage, et nous y croyons fortement. C’est un travail de collaboration qui se retrouve tout au long de la chaîne de production”.
La géopolitique qui entoure OLOOH n’est pas quelque chose dont il se détourne. La grande diversité ethnique et raciale d’Abidjan n’est pas seulement une coïncidence dans laquelle OLOOH existe, mais elle est cousue au cœur même de la marque. Décrit comme “un Abidjanais invétéré, né en Côte d’Ivoire”, Diaby ne pouvait s’empêcher de laisser l’endroit qu’il connaît le mieux au monde être la source d’inspiration de ses œuvres. “Quand je ferme les yeux, je peux sentir l’odeur de la ville, entendre les bruits. C’est donc tout naturellement qu’Abidjan m’inspire”. Les racines de la marque s’étendent au-delà des villes locales environnantes et même au-delà de la réception de certains tissus en provenance du Mali. Pour la dernière collection de la marque, Boulevard Lagunaire, il était important que les vêtements soient produits dans le respect de l’environnement, en s’efforçant de créer quelque chose qui n’ait pas seulement un sens pour les habitants de la Côte d’Ivoire, mais qui ait aussi un sens en termes de protection du climat. En utilisant des cuivres domestiques recyclés de la petite ville de Grand Bassam et en s’efforçant de produire des imprimés d’une manière qui minimise le gaspillage d’eau et le déclin des abeilles, une prise de conscience de notre époque imprègne Boulevard Lagunaire.
À l’heure actuelle, alors que Business Insider rapporte que l’industrie de la mode est le deuxième plus grand consommateur d’eau au monde, l’industrie de la mode est coupable de crimes contre l’écosystème. Récemment, Afrik21 a rapporté que l’UE – le plus grand importateur de cacao de Côte d’Ivoire – s’est engagée à couper les liens commerciaux avec la Côte d’Ivoire si elle ne parvenait pas à stopper la déforestation au nom de la production de cacao. Dans un contexte d’agitation politique internationale et de conversations toujours plus complexes sur la non-durabilité de la mode, OLOOH n’a d’autre choix que de réagir. Et réagir, elle le fait, à sa manière,
Nous accordons une attention particulière aux différents impacts que nous pouvons avoir sur l’environnement. Depuis notre création, nous avons fait le choix d’utiliser des matériaux organiques. Nous sélectionnons soigneusement nos différents fournisseurs […] Il est difficile de faire du 100% écologique tout en ayant des produits de qualité et des coûts raisonnables mais nous cherchons constamment à améliorer nos méthodes,
a souligné Diaby en réponse aux progrès notables réalisés par OLOOH avec Boulevard Lagunaire. Même dans le pandémonium que nous connaissons aujourd’hui, Boulevard Lagunaire ne se laisse pas engloutir dans le moment présent. Soucieux de ne pas tomber dans la culture existante des marques de mode qui s’installent dans la nostalgie, la dernière collection d’OLOOH s’inspire de la culture de la mode de la fin des années 90 et du début des années 2000 en Côte d’Ivoire et au-delà, qui a par la suite façonné la culture populaire dans son ensemble.
Dans une période d’isolement – pendant laquelle la collection a été conçue – Diaby a eu l’occasion de réfléchir à ce qui a façonné sa maison et sa culture pour en faire ce qu’elles sont aujourd’hui. En fin de compte, cela l’a ramené à la transition iconique des millénaires. Boulevard Lagunaire se veut un regard contemporain sur l’époque, tout en restant fidèle à l’identité esthétique de la marque dans ses silhouettes modernes et minimalistes et son jeu saisissant de motifs et d’imprimés. Certains diront qu’un héritage réside dans la signature. Certains diront qu’il n’existe pas de formule ou de méthode précise à étudier et à reproduire pour garantir un héritage durable. Mais l’existence même d’un héritage nécessite un avenir dans lequel vivre. Par les diverses manières dont cette marque émergente investit dans son personnel, sa communauté et l’environnement que nous partageons, elle s’efforce de faire de cet avenir (à tout le moins) une possibilité. Certains pourraient penser qu’en fin de compte, Diaby aimerait que l’on se souvienne d’OLOOH pour cela. Mais pour lui, l’éco-conscience ne consiste pas à remplir un rôle ou à faire preuve d’éthique sous le capitalisme. Diaby parle d’aimer la nature (et lui rend hommage avec des vagues auxquelles il fait référence dans la collection) avec la même aisance que l’on parle des choses qu’on aime faire pour le plaisir. Le souhait de Diaby pour OLOOH et son héritage est simple, mais en même temps profond : “que OLOOH représente le mode de vie ivoirien”.